Table de recherche, 2021.

Rade de Brest, 2018.

ISOBUE - documentaire sonore

​Isobue est un son. On l’entend à la surface de l’eau, lorsque les femmes qu’on appelle Ama au Japon, se préparent à plonger. Leur ventilation devient alors aiguë et sifflante. On entend isobue : le sifflement de la mer.

Au Japon, les Ama plongent en apnée depuis des millénaires. Elles pêchent, dans la baie d’Ise et tout autour de l’archipel : des ormeaux, des concombres de mer, des oursins, des algues. Elles ont transmis ce savoir à leurs filles depuis une histoire très lointaine. Ama veut dire : femme de la mer.

Je me demande comment les Ama transmettent leur savoir, depuis des milliers d’années, aux générations qui les succèdent. Quels outils s’échangent-elles? Quels gestes précis transmettent-elles aux nouvelles recrues, quelles paroles, quelles croyances? Je pense aussi qu’une grande partie de cette transmission se fait en silence, dans l’espace partagé du bateau qui les emmène en mer, là où les corps se préparent, s’équipent, et s’observent avec une grande attention et délicatesse. C’est dans l’être ensemble, que les savoirs et apprentissages peuvent circuler, d’un corps à l’autre. J’aimerais goûter à cette proximité là, pour répertorier au mieux ce que j’y observe et sens de nouveau, dans mon propre corps.

Je projette de collecter tout un ensemble de rites - gestes, récits, danses et chants- qui sont liés à la manière de vivre de ces femmes. Une vie consacrée à l’océan. Peut être ont-elles des danses spécifiques, liées à la plongée, ou encore des chants, comme les prières de protection qu’elles répètent avant de se jeter à l’eau. J’aimerais comprendre comment ce lien puissant avec la mer habite les autres faces de leur vie : le rythme de la journée, le lien avec les ancêtres et avec la famille, leur habitation. Mais également les formes de socialité qui organisent cette communauté : le partage de la pêche, les préparations culinaires, les moments de repos et de fête partagés.

Ce qui m’intéresse par dessus tout, c’est pouvoir observer ce que le rapport omniprésent à l’eau façonne dans leurs corps : la fluidité, le relâchement, le lâcher prise. Il paraîtrait que les Ama en retraite se sentent envahies par l’envie de retourner plonger, en observant le retour au port, de leurs cadettes. Cet attachement là, je le sens habiter mon corps et c’est avec ce lien, qu’il me plairait de tisser mon récit.Ce projet veut mettre en lumière la tradition qui s’éteint et avec elle une organisation de vie ancestrale liée aux forces de la nature et à sa conservation.